" Au Bonheur des dames "...Exposition !
«Kimono, au bonheur des dames»
Kimono, l'empire des sens
" La Japonaise au bain ", huile sur toile, 1864, James Tissot, Musée des Beaux Arts de Dijon
Cet art ultrasophistiqué est raconté en 150 chefs-d'œuvre au musée Guimet, prêts d'une maison de confection japonaise fondée en 1611 qui en compte 10.000.
À qui lui rend visite dans sa maison-atelier des faubourgs de Tokyo, Kunihiko Moriguchiparle volontiers de son art si particulier : celui du kimono d'apparat. Sans s'arrêter de retourner au canif, un par un, les milliers de grains de riz qui boivent la couleur des lés de soie tendus autour de lui, ce septuagénaire ayant connu Malraux à Paris et Balthus à Rome, fournisseur de la famille impériale et Trésor national vivant depuis 2007, en donne même les clés d'appréciation. «Le kimono doit fonctionner en 3D comme en 2D, dit-il. C'est la seule forme d'art au monde ayant cette exigence. Il doit être beau au porté et beau lorsqu'il est suspendu à son cintre droit. En effet, lorsque la dame n'en est pas revêtue, il sert à occulter la fenêtre du séjour. Avec le paravent c'est l'un des rares décors dans nos demeures traditionnelles si petites.»
Kimonos de la série Symphonie de lumière de Itchikue Kubota, Japon, 2000
«Le kimono doit fonctionner en 3D comme en 2D. C'est la seule forme d'art au monde ayant cette exigence. Il doit être beau au porté et beau lorsqu'il est suspendu à son cintre droit»
Kunihiko Moriguchi peint ses kimonos. Il mêle le cubisme et l'abstraction, sans oublier les styles anciens qu'il connaît et respecte. Il est ainsi l'héritier de ceux qui ont créé les merveilles actuellement visibles au Musée Guimet de Paris. Aurélie Samuel, conservatrice spécialiste des textiles au musée et fraîchement nommée directrice des collections de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, a, avec Iwao Nagasaki, emprunté quelque 150 kimonos parmi les 10.000 de la collection Matsuzakaya, une maison de confection fondée en 1611 et devenue grand magasin à partir de 1910.
Expo_Du-No-Mata-Hari_musee-guimet
Des thèmes sophistiqués
Musée Guimet - Exposition "Tsutsugaki" - Textiles indigo du Japon
N'abordons pas la fabrication des pigments, obtenus parfois à partir d'un compost végétal aspergé de saké. Évoquons plutôt la broderie. Elle émerveille, qu'elle soit directement cousue sur le tissu en une grande variété de points, combinée à des feuilles de métal, ou enserrant des fils d'or posés à plat pour un relief plus vif. Les thèmes choisis ne sont pas moins sophistiqués. Priorité est donnée à la nature, dans cette société fondamentalement animiste. De bas en haut, on retrouve souvent la trinité mer-terre-ciel. Souvent avec cascades, rochers et nuages. Fleurs, bosquets et animaux enrichissent ces paysages. Les représentations d'orchidées, de chrysanthèmes, de pivoines, de glycines, de bambous, de pins, d'érables rouges ou de prunus s'harmonisent avec celles de carpes, coquillages, papillons, hirondelles, coqs… On remarque aussi des motifs d'éventails, de barrières, de bateaux, des pavillons et kiosques, des roues et chars à bœufs, et même de la calligraphie ou quelques sceaux. Autant d'indices d'une certaine fierté dans le génie technique humain.
Exposition Kimono — Au bonheur des dames au Musée Guimet du 22 février ay 22 mai
Ainsi, les combinaisons semblent infinies sur ces vastes surfaces en forme de T, addition de sept lés. D'autant que les saisons ajoutent leurs tonalités propres. Le bleu d'été est, par exemple, de mise pour ce kimono à camélias, fleurs de cerisier et chauves-souris. À l'inverse, symbole de l'hiver, la neige sur des haies de jardin resplendit dans cet autre de sergé de soie rouge orangé.
Des carcans très travaillés
Dans l'exposition, des paravents, des objets et bijoux relevant de la toilette féminine ponctuent le parcours. Peignes de laque ou épingles à cheveux, appareil pour imprégner les vêtements de l'odeur de l'encens, coiffeuses et écritoires portent le raffinement à son comble. On y retrouve les mêmes passions générales. Celle de la nature et de la mode. Car, dès l'époque d'Edo (au début du XVIIe siècle), les Japonaises suivent la tendance préconisée dans des catalogues à leur intention.
Paravent à six panneaux représentant des kimonos suspendus
Pourtant, quoi de plus difficile que de porter ces kimonos? Destinés à la noblesse militaire, à l'aristocratie impériale ou à la bourgeoisie marchande - les plus travaillés étant ceux de mariage -, ce sont aussi des carcans. Aurélie Samuel est intarissable lorsqu'elle raconte la manière de rouler l'obi, cette ceinture large de 35 centimètres et longue de 4 à 5 mètres. Avec cet accessoire, impossible de ne pas se raidir ou même de s'asseoir dans un fauteuil. Ces lourdes étoffes brident les gestes, contraignent la largeur des pas déjà effectués sur de hauts socques. Mais ici, dans cet empire qui écoute ses lettrés, toute mesure est synonyme de beauté.
La commissaire fait encore remarquer les encolures, destinées à être portées légèrement rejeté à l'arrière afin d'amplifier la longueur du cou. Plus occidentale ou plus féministe, Sophie Makariou, directrice du musée, résume le kimono de manière franche dans le catalogue : il ne serait en fait que «raideur maintien, contrainte». L'Occident s'est chargé de faire sauter ce carcan, détournant dès le XVIIe siècle le kimono en robe de chambre (peut-être comme celles que portent le géographe et l'astronome peints par Vermeer). Considérant les splendeurs laissées derrière les vitres, on ne s'interdira pas de penser que c'est dommage.
«Kimono, au bonheur des dames», Musée national des arts asiatiques-Guimet (Paris XVIe)