Une magnifique inauguration à Aubusson !
A Aubusson, la tapisserie renoue avec la création
( inaugurée en ce mois de juillet 2016 ! )
- C'est l’une de ces incongruités qui font le charme de notre pays. A Aubusson, on tisse de la tapisserie depuis cinq siècles et demi. Depuis que quelqu’un, au moyen-âge, eut l’idée de fixer un tapis au mur pour en faire un décor. Dans cette petite ville de la Creuse, donc, sur les deux mille emplois d’il y a un siècle, il reste environ cent vingt filateurs, teinturiers, cartonniers, lissiers (ou liciers, au choix), restaurateurs et administratifs qui font vivre ce savoir-faire, élevé au rang de patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Une filière bien vivante, puisque c’est d'Aubusson que vient aussi le fil destiné à la moquette des hôtels de luxe.
C'est l’une de ces incongruités qui font le charme de notre pays. A Aubusson, on tisse de la tapisserie depuis cinq siècles et demi. Depuis que quelqu’un, au moyen-âge, eut l’idée de fixer un tapis au mur pour en faire un décor. Dans cette petite ville de la Creuse, donc, sur les deux mille emplois d’il y a un siècle, il reste environ cent vingt filateurs, teinturiers, cartonniers, lissiers (ou liciers, au choix), restaurateurs et administratifs qui font vivre ce savoir-faire, élevé au rang de patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Une filière bien vivante, puisque c’est d'Aubusson que vient aussi le fil destiné à la moquette des hôtels de luxe.
Du plus classique au plus contemporain : difficile de ne pas trouver œuvre à son goût.
Mais, entre 2000 et 2010, le nombre d’ateliers a été divisé par quatre. A Aubusson et dans le bourg voisin de Felletin, il n’en reste plus que huit, plus trois manufactures. Or, à la différence de celles des Gobelins ou de Lodève, intégrées au Mobilier national, la tapisserie d’Aubusson est une activité privée. La commune, l’Etat, et surtout le département ont été appelés à la rescousse. La petite ville creusoise vient donc d’inaugurer sa Cité internationale de la tapisserie, construite en partie sur l’Ecole nationale d’art décoratif, transférée à Limoges et fondue dans l’Ensa (Ecole nationale supérieure d’art Limoges-Aubusson).
Conçue par l’agence d’architecture Terreneuve, cette Cité est un bâtiment monumental, joliment empaqueté dans de la toile aux rayures colorées. Elle abrite une vaste « nef des tentures », un espace pour la création contemporaine, un autre dédié aux savoir-faire, un centre de documentation, un atelier. La Cité internationale de la tapisserie, c’est 440 tissages, dont 330 tapisseries murales. Cinquante pièces de mobilier. Seize mille œuvres graphiques. Cinq mille échantillons de tissage réalisés par les élèves de l’école. De quoi mettre en valeur la filière et développer l’économie touristique.
Détail d'une tapisserie du XVIIe siècle
La fée des bois, tapisserie de basse lisse, 1909, atelier Croc-Jorrand
La ville a une spécialité : la tapisserie d’interprétation. « L’artisan fait œuvre textile à partir de la création d’un artiste », explique Bruno Ythier, le conservateur de la Cité. Le lissier travaille à partir d’un carton peint lui servant de modèle. Dès le XVIe siècle, Aubusson est célèbre pour ses « verdures » : des paysages où évoluent des personnages dans une végétation abondante, parfois ornée d’une frise de feuilles de chou. Au XVIIe, on se met à illustrer les récits à la mode, comme la romance entre le chevalier Renaud et la sarrasine Armide, contée par Le Tasse en 1581. L’artisan se débrouille avec ses propres couleurs, dans une gamme limitée, jusqu’à l’arrivée des colorants chimiques au XIXe siècle. Les manufactures se mettent alors à utiliser des milliers de teintes, ce qui aboutit à des tapisseries d’une précision extrême : des « peintures tissées ».
Verdure fine aux armes du Comte de Brühl, tapisserie du XVIIIe siècle, coll. Cité internationale de la tapisserie
Nadia Petkovic, lissière, devant des éléments de la tenture "Les nouvelles verdures d'Aubusson" dont elle poursuit le tissage.
Vers 1900, le peintre et sculpteur Maillol (1861-1944) « découvre la tapisserie de la Dame à la licorne au musée de Cluny », raconte Bruno Ythier. Rejetant la minutie de la peinture tissée, il fait exécuter par sa femme des tapisseries inspirées de l’ancienne technique. Une première rénovation commence. « On se remet à utiliser du gros fil, en employant seulement vingt couleurs. C’est Aubusson qui lance ça. » A Paris, où se tient en 1925 l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, les productions limousines ont droit à un stand immense. Un critique commente : « Avez-vous vu la nouvelle tapisserie d’Aubusson ? C’est gros comme de la ficelle, mais, vingt dieux, qu’est-ce que c’est beau ! »
Nouveau virage quelques années plus tard. En 1937, le peintre Jean Lurçat (1892-1966) se rend dans la Creuse, où il se familiarise avec la technique du carton numéroté inventée sur place. Il va la développer. A partir de Lurçat, le lissier n’a plus qu’à exécuter la commande en suivant un code couleur. Il perd sa liberté d’interprétation. Tel est le XXe siècle : on taylorise, on planifie, on organise. « La relation entre lissier et artiste se tend », observe Bruno Ythier. Pourtant, à la même époque, la tapisserie rayonne en attirant de nouveaux artistes : Alexander Calder, Sonia Delaunay, Victor Vasalery font tisser à Aubusson.
Mais, au début des années 1960, la « Nouvelle Tapisserie » révolutionne le genre : quelques artistes commencent à abolir la hiérarchie entre art et artisanat pour devenir eux-mêmes lissiers. A eux la liberté. Ils abandonnent le carton, expérimentent des techniques et des matériaux nouveaux, descendent la tapisserie de son mur pour en faire une sculpture. Ayant pris le chemin inverse, celui d'une hiérarchisation renforcée entre artiste et artisan, Aubusson ne suit pas cette évolution. L’avant-garde délaisse la Creuse pour la Biennale de la tapisserie de Lausanne. « Cela a donné l’art textile dans les années 1990, puis le fiber artaujourd’hui. Et l’école d’Aubusson n’a pas su réagir. Elle était divisée en deux : textile et image, ce qui l'a menée dans le mur. Et elle a fini par fermer », poursuit Bruno Ythier.
Confluence de Bina Baitel, grand Prix 2012
Shadows d'après Man Ray. Tissage Atelier Pierre Legoueix (Aubusson, 1938) © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 20 juillet 2016, Cité internationale de la tapisserie Aubusson
Le problème s’aggrave avec le départ en retraite de nombreux artisans. Le savoir-faire se perd. D’autant que, pour conserver la maîtrise de leur technique, « les professeurs de tapisserie n’avaient jamais écrit de cours depuis l’ouverture de l’école en 1884 », ajoute Emmanuel Gérard, directeur de la Cité de la tapisserie. Aujourd’hui, un travail de fond est mené pour rédiger un corpus des techniques de tissage. Six à huit lissiers ou lissières sont formés chaque année.
Une toile de bufle
Aurore ou les trois écoles, d'après Charles Genuys ( 1895 )
Destinant sa production aux collectionneurs, aux institutions publiques ou privées, aux artistes, aux architectes et aux décorateurs, Aubusson expérimente à nouveau, en se tournant vers l’art contemporain, le design et la mode. Chaque année, un concours de création est organisé. En 2012, la designer Bina Baitel signait ainsi un superbe tapis-meuble, que l’on peut maintenant admirer dans la Cité internationale de la tapisserie. Aubusson se relance, et c’est une bonne nouvelle.
C'est un atelier méconnu qui restaure les pièces tissées du patrimoine français. Initialement à Paris, l'atelier de restauration du mobilier national a été en partie délocalisé à Aubusson en 1992.
Un atelier du mobilier national à Aubusson qui restaure les tapisseries