Musée de la vie romantique...
L'empire des fleurs
Les grandes expéditions se multiplient à la fin du XVIIIe siècle. Les navires reviennent chargés de richesses. Rien que ceux de Cook livrent au Vieux Continent quelque 1400 plantes nouvelles. Quant à André Michaux, envoyé par Louis XVI surveiller ses pépinières en Caroline et dans le New Jersey, il apporte 60.000 plants et 90 caisses de graines.
Le pouvoir des fleurs...
Saint- Jean Simon (1808-1860), La Jardinière 1837
Cela tombe bien: Pierre-Joseph Redouté (1759-1840) s'est fait une spécialité de représenter cette nature en cours d'inventaire. Il excelle au point qu'on l'a appelé «le Raphaël des fleurs». Au Musée parisien de la vie romantique, ancien pavillon à l'italienne où l'on croise les fantômes d'Ary Scheffer, de Delacroix, Sand, Chopin, Liszt - endroit idéal avec son délicieux jardin de roses, tulipes et lilas -, une exposition produite avec l'appui du Museum national d'histoire naturelle (ancien Jardin du roi) justifie tout à fait ce surnom.
On commence par les espèces grasses et piquantes. De l'aloès à pattes d'araignée à celui à cochenille mexicaine, les cactus prolifèrent. Pour un peu ils troueraient les précieux vélins, parfois à fond argenté, sur lesquels leurs représentations d'une vérité de détails inégalée ont été délicatement aquarellées.
Antoine Berjon (1754-1843) Fleurs sur un fond blanc, 1844
Toutefois, contrairement à ce que dit la chanson, dans la vie, il n'y a pas que des cactus. Le monde de Redouté, de ses maîtres, élèves, émules et concurrents, est aussi largement fait de racines, bulbes, tiges, feuilles, fruits et, bien sûr, d'innombrables fleurs. Priorité aux plus exotiques dans les vitrines et cimaises aux allures de serres. Voici des succulentes d'Afrique du Sud, de Madagascar, des Canaries. En regard, de grandes pages d'herbiers sont montrées avec leurs étiquettes, cachets et notes à la plume. Ces collections étaient pareillement constituées par les rois et les reines. Notamment par Joséphine, à la Malmaison. Elles témoignent de la rage botaniste du temps.
" Flore caressée par Zéphyr ", du baron Gérard....
Pierre-Joseph Redouté
Chez Redouté, la précision méticuleuse n'empêche ni la sensualité ni la fantaisie. La science raisonnée est aussi artistique. Ainsi cette longue petiveria qui pousse en Amérique tropicale ou cet eucalyptus austral: ils débordent de leur cadre. La joubarbe des toits ressemble à un artichaut psychédélique. Le scandix choisi pour modèle a été «récolté sur la route de Téhéran», et la patte d'ours Heracleum absinthifolium, «près de Bagdad». Quant à cette élégante éphémère bleue, elle vient de Virginie.
Pavots
Pistolet à parfums
On s'en doutait: l'exposition est placée sous l'égide de Flore. Dans un de ses tableaux, prêt du Musée de Grenoble, le baron Gérard a imaginé la déesse en jeune fille nue que chatouillent divers pétales soufflés par un coquin Zéphir. D'autres toiles et quelques bustes enrichissent le parcours. Ils renvoient à cette époque bénie des naturalistes, entre la fin de l'Ancien Régime et la monarchie de Juillet. En dépit des guerres et des révolutions, les sciences naturelles et horticoles ont alors connu un âge d'or.
Ceux qui avaient pour tâche de représenter les espèces dans toutes leurs variétés œuvrent aussi bien pour le catalogage que pour les arts appliqués. Et les gravures ou dessins, tel ce lourd pavot d'Orient à la pierre noir et sanguine, laissent parfois la place à des miniatures virtuoses ou à des huiles dérivées des natures mortes flamandes et néerlandaises. On notera chez ces dernières la reprise du vocabulaire symbolique traditionnel - l'œillet et la rose pour la rédemption, les narcisses, anémones et lierres pour la Passion et la mort. Sur une feuille coule une goutte de la rosée de la jeunesse. Sur une tige dardent les épines de la souffrance…
Pierre-Joseph Redouté Caladium picturatum1788 - Aquarelle sur vélin, filet doré
Paris, MnHn
Photo © Muséum national d’histoire naturelle,
direction des Collections, Bibliothèque centrale
cactée
On s'amusera aussi à repérer ici une mouche, là une coccinelle, là encore un nid d'oisillons affamés, un bas-relief antique ou, renvoyé par un vase, le reflet d'une fenêtre. Certainement celle de l'atelier du peintre. Autres détails en trompe-l'œil: le velouté des pêches, le léger voile blanc sur la peau des prunes ou encore ces raisins. Noirs ou blancs, ils rivaliseraient volontiers avec ceux de Zeuxis qu'à Héraclée des oiseaux abusés ont picoré.
La dernière salle se concentre sur les arts appliqués. Car la passion florale aiguille la mode. Soieries lyonnaises, bordures de chambres à Versailles, papiers peints, broderies, éventails, vaisselle manufacturée à Sèvres, bijoux… On découvre même dans une vitrine, comble du chic, un pistolet à parfums!
Dans les années 1830, l'art de Redouté séduisait encore les amateurs. Mais on commençait à moins s'extasier que lorsque Friedrich Melchior Grimm disait à propos de Corbeille et vase de fleurs de Gerard von Spaendonck, le professeur du maître: «C'est la nature même, mais la nature dans toute sa fraîcheur, dans tout son éclat.» Redouté passera de mode durant la seconde vague romantique. Les fleurs qui fascineront ensuite seront celles du mal.
Jusqu'au 1er octobre au Musée de la vie romantique. 16, rue Chaptal, Paris IXe.