Aloïse Corbaz...ou " l'Art brut ", en exposition !
Villeneuve-d’Ascq : Aloïse Corbaz au LaM, des centaines de dessins pour décloisonner une vie
L’exposition « Aloïse Corbaz en constellation » montre le parcours d’une figure emblématique de l’art brut du XXe siècle. Recluse dans un asile, l’artiste suisse (1886-1964) a bâti son univers coloré jusqu’à son dernier jour.
Aloïse Corbaz, au musée de Villeneuve-d'Ascq
En 1951, il y a trente ans qu’Aloïse Corbaz est internée à l’asile psychiatrique de la Rosière, près de Lausanne. Trente ans que cette patiente schizophrène se partage entre le repassage le matin et le dessin l’après-midi. Plus qu’un passe-temps, un besoin compulsif de remplir des pages. De montrer des femmes, des personnages célèbres comme Guillaume II, qu’elle a connus quand elle était préceptrice à Sans-Souci, dans sa première vie. Cette fois, elle va livrer son chef-d’œuvre. Un travail d’envergure. Construit, maîtrisé, qu’elle va baptiser Le Cloisonné de théâtre avant de l’offrir à la personne qui la connaît le mieux, le docteur Jacqueline Porret-Forel.
Ce rouleau de papier de 14 m de long, large d’un mètre, réalisé en moins de trois mois, résume avec l’éclat et les couleurs de la craie grasse la vie rêvée et les obsessions d’Aloïse. Appelée parfois « la Sixtine de l’art brut », l’œuvre est présentée au LaM pour la première fois à plat et en totalité. C’est le point d’articulation de l’exposition préparée par Savine Faupin, Christophe Boulanger et Gaye-Thaïs Florent, montée en forme d’opéra, avec des actes marquant les étapes créatives d’Aloïse, du « Grand bal de nuit » jusqu’à « Psyché et l’amour ».
Aloïse (1886-1964)Bal tango Hôtel Rosière © Kunstmuseum Solothurn. Photo : Simon Schmid, Berne
Foisonnement des couleurs vives
Une façon de souligner son parcours artistique. D’abord la fascination pour le faste, le spectacle et la musique qu’elle a connus jeune. Puis la rupture de l’internement qui donne naissance à une production plus mystique et fantasmatique. Près de 150 dessins illustrent cette trajectoire avec des constantes qui viennent composer un style original reconnaissable entre tous : le foisonnement des couleurs vives, une expression graphique tout en courbes, la présence de personnages anonymes ou célèbres, Napoléon, Madame Récamier, Sissi…
L’expo met aussi en perspective les œuvres d’Aloïse avec celles de contemporains qui ont pu l’inspirer, Picasso, Chagall, Matisse, et dont la teneur formelle, finalement, n’est peut-être pas si éloignée des siennes…<cci:mvdn_puce class="macro" displayname="MVDN_PUCE" name="MVDN_PUCE">
> Jusqu’au 10 mai, du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, au LaM, 1, allée du Musée à Villeneuve-d’Ascq.
Aloïse (1886-1964)Le manteau du Matador, Photo : Olivier Laffely. Collection de l’Art Brut
Aloïse (1886-1964)Fleurir l’Amérique Président Stubborn, 1951-1960 © Collection Antoine de Galbert, Paris. Photo : Thomas Hennocque, Paris
Aloïse Corbaz : un autre regard sur la folie, un autre regard sur l’art brut
Jean Dubuffet dit d’elle, après sa mort, dans une lettre à Jacqueline
Porret-Forrel (médecin et amie d’Aloïse) :
« Elle n’était pas du tout folle (…) Elle s’était guérie elle-même par le procédé qui consiste à cesser de combattre le mal et entreprendre, tout au contraire, de le cultiver, de s’en servir, de s’en émerveiller, d’en faire une raison de vivre passionnante (…) Le merveilleux théâtre qu’elle donnait constamment était pour elle un plan de refuge inattaquable, une scène où personne ne pouvait monter, ne pouvait l’atteindre (…) Mais folle, sûrement pas. Très lucide, j’en suis persuadé, retranchée dans son si ingénieux cocon qu’elle s’était fabriqué… ».
Née en 1886 en Suisse, d’une mère paysanne (qu’elle perdra à l’ âge de 11 ans) et d’un père employé des postes . Petite, son rêve était de devenir cantatrice…
A 18 ans , après avoir eu son diplôme de culture générale, elle suit des cours de chant . Elle s’inscrit par la suite à l’école professionnelle de couture de Lausanne.
Elle tombe, alors, passionnément amoureuse d’un étudiant en théologie . Sa sœur pour mettre fin au scandale, l’envoie à Postdam (Allemagne) pour y être gouvernante des enfants du chapelain de Guillaume II.
Elle développe, pour l’ Empereur Guillaume II, une passion qu’elle sait impossible, elle l’évoque dans une correspondance qui restera sans réponse.
« Que ne puis-je retremper mon âme en feu dans les yeux de firmament constellé d’étoiles d’un homme inaccessible que j’aime éperdument. »
Contrainte de retourner dans sa famille en Suisse, un peu avant la Première Guerre mondiale, elle laisse libre cours, de nouveau, à une passion délirante pour le pasteur Gabriel Chamorel . Elle développe, à partir de là, des sentiments religieux, pacifistes et humanitaires exacerbés.
1918 , sera le début de la fin de ce qu’elle appelle son “monde ancien, monde d’autrefois”, avec son internement à l’hôpital psychiatrique de Cery (Suisse). Elle y sera diagnostiquée schizophrène.
En 1920 elle est définitivement internée à l’hôpital de Rosière et y restera jusqu’à sa mort en 1964.
Pendant les 10 premières années de son internement, Aloïse reste enfermée dans un profond mutisme.
Elle en sort petit à petit lorsque qu’elle commence à repasser les vêtements des patients.
Dans le plus grand secret, Aloïse se met à dessiner sur des petits bout de journaux récupérés ci et là . Couturière de formation , elle n’hésite pas à coudre les morceaux entre eux pour obtenir de plus grands formats et à les cacher dans ses corsages.
La plupart de ses œuvres seront détruites par le personnel soignant jusqu’en 1930, date à laquelle le docteur Hans Steck (psychiatre et directeur de l’hôpital) commence à s’intéresser à ces œuvres “hors normes”. Il n’aura, alors de cesse de conserver les créations d’Aloïse.
C’est en 1941, que le docteur Jacqueline Porret-Forrel (médecin psychiatre) arrive, en gagnant la confiance d’ Aloïse, à décrypter toute l’ampleur du travail et les codes complexes qui définissent l’univers mis en place par cette dernière.
Encouragée et soutenue, Aloïse peut, dès lors, laisser libre cours à une production monumentale et pleine de couleur qui sera précieusement conservée.
Elle délaisse les crayons, gouaches,pastels offert par son amie (Jacqueline Porret-Forrel), préférant les matériaux trouvés par elle même, fait de fleurs qu’elle écrase pour en obtenir un jus pastel.
Refusant tout gaspillage, elle use ses crayons jusqu’à les écraser avec sa salive dans une cuillère, obtenant une pâte qu’elle applique à même le papier.
C’est dans ce contexte propice à la création libre qu’elle offre solennellement à Jacqueline Porret-Forrel, une œuvre majeure et emblématique de son travail,
“ Le cloisonné théâtre “ en 1951.
Cette œuvre accompagnée d’une lettre explicative, reste une œuvre majeure qui développe les thèmes et le style présent dans toutes ses créations.
C’est en 1946, lors de son second voyage en Suisse, que Jean Dubuffet s’intéresse aux œuvres d’ Aloïse.
C’est un an auparavant qu’il commence l’étude méthodique des productions des peintres spirits, malades mentaux et de prisonniers . Il sera le créateur de la notion “ d’Art Brut”.
Il n’aura de cesse de rechercher de nouveaux artistes et découvrira, grâce à des médecins comme le docteur Morgenthaler, des artistes comme Adolf Wölfli et Heinrich Anton Müller.
En 1947, Jacqueline Porret-Forrel ayant pris connaissance de l’intérêt de Jean Dubuffet pour Aloïse, présente quelques dessins, lors d’un voyage à Paris.
Elle écrira, par la suite au sujet de cette rencontre :
“Dubuffet a été littéralement enchanté par Aloïse qui a compté parmi ses artistes bruts préférés. Il a saisi d’emblée la nature intime de sa création, ses processus de pensée, sa vision mentale et en a fait un exposé d’une fulgurante intuition dans les Publications de l’Art Brut.”
Elle acquit alors une notoriété et une légitimité dépassant peut être son rêve de petite fille de devenir une cantatrice…
Cloisonné de Théâtre :
mise en scène de la vie d’ Aloïse.
Le Cloisonné de Théâtre est une œuvre monumentale sur un rouleau de papier de 14m de long sur 1m de large.
Aloïse Cordaz utilise différentes techniques comme les fleurs écrasées à même le papier, crayon de couleurs, craies grasses.
Les différents morceaux de papier sont cousus entre eux, rendant l’œuvre extrêmement fragile . Jacqueline Porret-Forrel en parle en ces termes dans son livre : Aloïse ou le Théâtre de l’Univers.
« Sur ces quatorze mètres de papiers cousus les uns aux autres, ce rouleau met en scène le drame amoureux qu’a vécu Aloïse, en une pièce composée d’actes et d’interludes ».
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Acte I
Conclusion : le sens de lecture est inversée
La conclusion, elle, est plus spirituelle. Elle évoque par l’intermédiaire des représentations d’Amour et de Psyché, l’espoir de retrouver dans l’au-delà les êtres aimés.
Cette œuvre ne doit pas être vue et considérée comme le copié collé de la vie d’Aloïse mais plus comme l’ invention d’une histoire proche de la sienne. Les différents actes y sont codifiés de manière complexe selon une certaine dramaturgie.
Cette gigantesque mise en scène réinvente à la fois sa vie, son image et son univers.
Acte II
Acte III
Autres Liens : http://masmoulin.blog.lemonde.fr/category/histoire-de-lart/art-brut/
http://animulavagula.hautetfort.com/archives/tag/alo%C3%AFse%20corbaz/index-1.html